Achever Mai 68

Là où les deux grands totalitarismes du 20ème siècle échouèrent, l’ordolibéralisme sectaire réussit.
Il a atomisé la société, réduit l’individu à n’être que lui-même, opposé les âges, les professions, les strates sociales, empêchant ainsi la convergence des Résistances à sa marche à l’abîme.
Nos médias commémorent en ce printemps les « événements » de mai 68 dont les auteurs n’imaginaient guère faire l’objet d’une commémoration, eux qui voulaient faire table rase d’un passé dont l’étude enlève l’envie de le revivre.
Commémorer une rupture équivaut à la fossiliser, la ranger au musée de l’Histoire.
Faut-il achever Mai 68 ?
L’achever comme on achève un blessé incurable par pure compassion ou l’achever en reprenant et accomplissant sa portée sociétale novatrice ?
Surtout, ne faisons pas le coup de la « volonté des réformes », de l’aspiration « aux changements », de l’impérieux devoir de se mettre « en marche ».
Ces mots - réformes, changements, mouvements - ne sont que des paravents, des fumigènes derrière lesquels se dissimulent les pires méfaits.
Pour anesthésier les citoyens, les maîtres du système ont volé les mots, galvaudé les concepts et en particulier celui de « réforme ».
Parce que si réformer, changer, se mettre en marche peut signifier aller vers un mieux, plus de droits, de libertés, de protections, de justice, ces concepts sont positifs. Mais pour la secte qui dirige le monde, la marche, la réforme, le changement signifient régressions, sacrifices, dureté de la vie.
Alors, la question est : leur règne peut-il durer mille ans comme le rêvaient les totalitaires d’antan ?
Pour l’heure, constatons que la société est sous contrôle et que les gentilles manifestations de protestation en cours auront du mal à déboucher sur une grève générale et insurrectionnelle, seule de nature à faire reculer le pouvoir, à l’instar de ce qui intervint en Mai 68.
Les cheminots, les fonctionnaires, les hospitaliers, les gens de justice, les retraités, les jeunes condamnés à ce qui est pire que le chômage - à savoir le travail précaire et sous-payé - les militantes féministes, les militants animalistes, toutes ces victimes du système du profit oligarchique ne semblent pas encore avoir compris que tout se tient, qu’il faut remettre le vivant au centre des valeurs, récuser le dogme des économies permanentes et infinies qui sanctionnent les êtres pour servir le culte du Marché.
Achever Mai 68 signifie refuser les réformes inhumaines et contre nature, marier la liberté de mode de vie et de conscience avec la solidarité, mettre la compassion à l’ordre du jour, affirmer que si la raison du plus faible n’est pas toujours la meilleure, elle est celle qui mérite davantage de considération.
Pour les réactionnaires, Mai 68 est la naissance de la décadence, du féminisme, de l’écologisme, de la déliquescence des mœurs, de l’abandon des viriles traditions, sources de larmoyantes nostalgies.
C’est la base de départ du suicide français qui, s’il existe, trouve d’autres causes étrangères aux femmes, aux homosexuels, aux libertés individuelles de mœurs et de vies. Nos réactionnaires oublient que tout totalitarisme politique ou religieux n’aime ni les femmes libres, ni les homosexuels, ni les modes de vies interdits par les dieux ou le parti.
Les agressions contre la liberté, l’universalité des droits, l’émancipation des personnes existent mais ni la droite et son « racisme » anti-fonction publique, ni la gauche et son culte des « damnés de la terre » n’osent les dénoncer.
Achever Mai 68, c’est exiger des moyens financiers pour l’hôpital, la justice, les maisons de retraite, les gens ordinaires.
Achever Mai 68, c’est proclamer que tout individu est libre de vivre comme il l’entend sous le seul respect de la liberté d’autrui dont sa propre liberté se grandit.
Achever Mai 68, c’est affirmer que l’animal est un être sensible, notre frère en émotions.
Achever Mai 68, c’est rejeter une société violente, de concurrence frénétique de tous contre tous.
Achever Mai 68, c’est promouvoir une éthique de la vulnérabilité et offrir à l’individu un épanouissement compatible avec son inscription dans une globalité lui permettant d’assumer que par-delà sa finitude, il appartient à l’ordre du vivant.
L’actuel chef de l’état français, adepte du thatchérisme, écrivit un livre préélectoral intitulé « Révolution ».
Très bien, puisqu’une révolution s’impose, mais la sienne n’est pas celle qui sauvera le monde ! Leur révolution oligarchique est certes en marche, mais vers l’abîme.

Gérard CHAROLLOIS

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