Lettre à France Culture

Destinataire : l'émission

LES MATINS DE FRANCE CULTURE

116 avenue du Président Kennedy

75220 PARIS CEDEX 16

 

Objet : Réaction à votre émission du 13 avril 2012

Bousies, le 16 avril 2012

Mesdames, Messieurs,

Fidèle auditeur des Matins, je me permets de réagir suite à votre émission du 13 avril dernier où vous avez reçu Monsieur Montcouquiol venu faire l’éloge de la tauromachie.

Comme l’a si bien souligné Brice Couturier, aborder le sujet de la corrida assure dans toute discussion un embrasement.

Je ne reviendrai pas sur le fait que l’on aime ou pas la corrida. Monsieur Montcouquiol est après tout dans son droit de l’aimer puisque la loi française autorise celle-ci.

Par contre, il n’est pas légitime d’apprécier cette pratique et de déformer la réalité pour en faire sa promotion.

Permettez-moi donc de reprendre certains propos avancés par Monsieur Montcouquiol afin de les corriger ou les compléter.

Monsieur Montcouquiol a fait plusieurs fois référence au courage du torero affrontant la colère du taureau présenté comme une bête démoniaque qui va le harceler. Monsieur Montcouquiol trompe son audimat en disant cela. D’une part, un taureau n’attaque jamais dans une arène, il se défend puisque lui n’a jamais fait le choix de se retrouver dans cet environnement hostile et inconnu. D’autre part, s’il fallait choisir un adjectif pour qualifier le torero, « pleutre » est bien plus adéquat que « courageux ». En effet, durant la corrida, plus d’une dizaine d’assistants sont prêts à intervenir au cas où le taureau prendrait le dessus. De plus, le taureau présent dans l’arène a subi de nombreux sévices durant les jours précédents afin qu’il y arrive très diminué : enfermement dans des caissons de bois pour qu’il se déshydrate, administration de purgatifs pour accélérer cette déshydratation, coups de batte répétés dans les flancs, yeux enduits de résine, et surtout cette opération de raccourcissement de ses cornes à l’aide de limes métalliques. Les cornes du taureau sont constituées de nombreuses terminaisons nerveuses et le fait de les altérer accentue sa perte de repères. Une opération synonyme d’une souffrance extrême (pour vous rendre compte, tentez de vous limer vigoureusement les dents et vous obtiendrez une sensation similaire). Je vous invite à prendre connaissance du film de Jérôme Lescure (« Alinéa 3 ») ou de l’ouvrage d’Alain Perret (« La mafia tauromaniaque ») où vous retrouverez dans les moindres détails cette face cachée de la tauromachie.

Monsieur Montcouquiol s’est également ému que beaucoup d’individus dénoncent ce qui se passe au sein des arènes sans se préoccuper de ce qui se produit quotidiennement à l’extérieur de celles-ci et qu’il considère, à juste titre, aussi horrible, aussi injuste, citant en exemple la faim dans le monde qui entraîne la mort d’un enfant toutes les trois secondes.

Monsieur Montcouquiol reprend là la technique classique de rendre admissible une injustice, une barbarie que l’on vénère puisque moins injuste ou moins barbare qu’une autre pratique existante, cela en terme de quantités et de nature des victimes. Selon le principe adopté par Monsieur Montcouquiol, il faut donc réaliser un classement par ordre prioritaire des actions à mener pour faire disparaître les injustices de notre monde. Je serais donc curieux de savoir s’il faut d’abord éradiquer totalement la famine de la corne de l’Afrique de l’Est avant de pouvoir légitimement sortir le peuple syrien d’entre les mains du dictateur sanguinaire dans lesquelles il se trouve, et si nous sommes autorisés à venir en aide aux victimes des derniers séismes de Sumatra puisqu’à ce jour nous n’avons toujours pas fini d’aider le peuple haïtien à se relever (exemples parmi tant d’autres).

Monsieur Montcouquiol a indiqué être traversé par un frisson lorsqu’il voit 10 000 personnes dans une arène.

Peut-être que Monsieur Montcouquiol faisait là référence à l’un de ses rêves. Toute corrida aujourd’hui se déroule devant des gradins clairsemés où sont présentes au mieux quelques centaines de personnes. De ce fait, sur le plan financier les spectacles taurins sont ultra-déficitaires (pour exemple, la dernière feria de Bayonne laisse paraître un déficit de 200 000 €). Le plus scandaleux étant que ce déficit est systématiquement comblé par des subventions étatiques ou des collectivités territoriales. Autrement dit ce sont les citoyens qui financent ces spectacles. Citoyens qui, selon les sondages, sont 70 % (et même 75 % dans les régions taurines) à reconnaître dans la corrida une barbarie qu’ils veulent abolir.

Enfin, Monsieur Montcouquiol a répété plusieurs fois être heureux de pouvoir discuter de la corrida dans la sérénité, sous-entendu sans violence verbale ou physique. Peut-être que Monsieur Montcouquiol pensait en disant cela aux derniers événements de Rodilhan où, au cours d’un spectacle taurin qui avait pour finalité la mise à mort de veaux par des adolescents, des militants pacifistes anti-corrida ont été lynchés par les organisateurs et certains spectateurs (dont le maire de la commune), des militantes étant même victimes d’attouchements sexuels (à ce jour, 70 plaintes sont déposées et une enquête ouverte par le Procureur de la République de Nîmes).

Fort heureusement, certains de vos chroniqueurs ont relevé le fait que cette tradition a un lien historique avec le franquisme (merci Brice Couturier !) et surtout que la corrida est une pratique où avant tout un animal capable de ressentir le stress et la souffrance se voit enfoncer dans le corps des instruments métalliques jusqu’à ce que ses poumons se remplissent de sang et l’amènent à l’agonie (merci Danièle Sallenave !).

Puisque France Culture  a cet apanage d’être le lieu de toutes les expressions, j’ose espérer que vous puissiez un jour donner la parole à un représentant de ces militants pour l’abolition de la corrida (Jérôme Lescure, déjà susmentionné, Jean-Pierre Garrigues, Vice-président du CRAC Europe pour la protection de l’enfance, Gérard Charollois, Président de la Convention Vie et Nature…) qui vous démontrera que leur démarche s’inscrit dans une volonté de faire évoluer notre société vers un monde plus juste, dans lequel toutes les violences doivent disparaître, quels que soient leurs destinataires, puisqu’elles sont en interconnexion. Nombre de nos philosophes l’ont relevé à travers les siècles passés. Puisse le vingt et unième être celui de l’accès à la sagesse, au bon sens et à l’empathie.

Recevez, Mesdames, Messieurs, nos sentiments dévoués.

David Joly

Vice-président CVN

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