La chasse : faut-il être contre ou contre ?

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par  Jean-Paul Richier - 12 septembre 2013

 


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En cette période d’ouverture de la chasse en France, un nombre croissant de citoyens français manifeste son agacement vis-à-vis d’un lobby encore chouchouté par le pouvoir législatif et exécutif.
Pourquoi cette exaspération de la part de la majorité de la population ?

Quelles sont les différentes catégories de chasse ?

Il n’y a pas « une » chasse, mais des chasses. Qu’on peut, comme pour « la » pêche, regrouper en 4 types :

- les chasses de subsistance, dont le prototype remonte aux chasseurs-cueilleurs du Paléolithique ;

- les chasses commerciales ;

- les chasses de loisir ;

- les chasses de régulation (la nature s’étant débrouillée toute seule pour réguler la vie animale depuis l’explosion cambrienne voici plus de 500 millions d’années, on aura compris que ce concept se réfère en fait, grosso modo, à la régulation des conflits d’intérêt directs ou indirects entre l’homme et les autres animaux).

On laissera de côté des catégories anecdotiques comme les chasses « scientifiques ».

Les chasses de subsistance et les chasses commerciales visent d’abord à obtenir de la chair comestible ou des sous-produits animaux (peaux, cornes, plumes...)

Les chasses de loisir et les chasses de régulation visent d’abord à tuer (même si elles peuvent déboucher sur de la chair comestible ou des sous-produits).

Bien entendu, ce découpage est purement fonctionnel, les sciences humaines pouvant donner lieu à d’autres classifications.

Ceci pour dire que de nos jours en France, c’est essentiellement la chasse de loisir qui existe, et qui est contestée en tant que telle. Même si elle s’affuble du faux-nez de la régulation, le cadre et les critères de cette dernière restant particulièrement délicats à définir.

On pourrait dire que les chasseurs français ont en quelque sorte pour devise « Notre passion, c’est la régulation », illustration parfaite de ce qu’on appelle un oxymore.

Durant l’émission de France Inter qui m’a inspiré le billet précédent, on peut entendre dans une des séquences intermédiaires un chasseur, inconnu qui aurait mérité de figurer dans le sketch des Inconnus ci-dessus (l’émission en question a d’ailleurs le mérite d’en diffuser des extraits), qui nous avoue (22’ 35") « Ca me motive, disons, de voir un gibier devant moi, et tout ça. C’est comme les femmes, on voit une femme, ça nous motive. Ben le gibier c’est pareil, hein ! ».

Je vais vous faire une confidence : j’ai plus de sympathie pour le franc-parler de ce gars que pour les pseudo-considérations de gestion de la nature ou de régulation de la faune derrière lesquelles aiment à se planquer les représentants des acharnés de la gâchette.

Ceci étant, envisagerait-on de confier à DSK une mission de recrutement de personnel féminin censée reposer sur les compétences professionnelles des postulantes ?

Et par parenthèse, dans un milieu qui a manifestement tant de mal à réfréner ses pulsions prédatrices,  j’inciterais à la prudence les femmes qui mordent à l’hameçon du renouvellement du monde de la chasse.

Quels sont les modes de contestation de la chasse en France ?

Nous pouvons en retenir trois :

- La contestation écologique

Elle repose notamment sur la préservation de la nature et de la biodiversité. Les animaux y sont pris en considération en tant qu’espèces, et non en tant qu’individus. Donc elle se préoccupe plus particulièrement des espèces menacées, généralement selon les critères de l’UICN, éventuellement de la CITES.

- La contestation éthique

Elle repose notamment sur la notion d’« intérêts » des animaux au sens de la philosophie utilitariste, à commencer par l’intérêt à ne pas souffrir, ou sur la notion de « droits » des animaux au sens de la philosophie déontologiste, à commencer par le droit à ne pas souffrir. Les animaux « sensibles » y sont pris en considération en tant qu’individus.

Elle se préoccupe aussi bien des animaux classés « nuisibles » que « chassables », ou « protégés ».

Bien entendu, en termes quantitatifs, les souffrances et les morts infligées par la chasse de loisir sont faibles par rapport à celles infligées par les hommes aux animaux en captivité, ou par rapport à celles simplement infligées par la nature elle-même (blessures, maladies, faim…). Mais le pire ne saurait justifier le moins pire.

- La contestation qu’on pourrait dire anthropocentrée

Elle repose sur les dommages que peuvent causer les chasseurs soit sur les autres hommes (résidents, randonneurs, automobilistes…), soit sur leurs biens (intrusion dans les propriétés privées, dommages matériels, blessures ou morts d’animaux domestiques…)

On aura compris que ces trois modes de contestation ne sont pas exclusifs, mais en fait coexistent volontiers.

Préoccupation écologique et préoccupation éthique sont historiquement liées.

Si, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, avait émergé dans le monde occidental une préoccupation envers le sort des animaux domestiques, c’est surtout à partir des années 1970 qu’a émergé une préoccupation envers le sort des animaux sauvages.

Les années 1970 virent on le sait l’émergence de maintes autres remises en question, comme en France l’approfondissement de la notion de « domination » par Bourdieu, à laquelle faisait référence le thème du dernier congrès de l’Association Française de Sociologie, congrès auquel participait le camarade Baticle avant d'intervenir dans l’émission mentionnée dans mon précédent billet.

Et cette préoccupation envers les animaux sauvages fut d’une part écologique, et d’autre part éthique. Ces deux aspects furent souvent liés, notamment en Europe du Nord et en Amérique du Nord, mais moins en France, où la préoccupation éthique envers les animaux a toujours un train de retard.

Et préoccupation écologique et préoccupation éthique relèvent en dernière analyse d’attitudes « anthropocentrées ». Non pas au sens « égoïste » (au contraire), mais en cela que le souci de préserver les espèces, comme le souci d’éviter la souffrance, sont spécifiques à l’homme : « mère Nature » se fout pas mal que des espèces disparaissent, que ça soit par dérive génétique ou par changement climatique, de même qu’elle se fout pas mal que des individus souffrent, que ce soit par blessure, par maladie, ou par manque de ressources.

La situation actuelle de la contestation de la chasse en France

Même si pour le chasseur français de base, l’ennemi, « c’est les écolos », on retrouve le clivage écologique/éthique :

- Côté écologique, se situent la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux), la fédération FNE (France Nature Environnement), la FNH (Fondation pour la Nature et l’Homme, appellation depuis 2011 de la Fondation Nicolas Hulot), et l’association HB (Humanité et Biodiversité).

Je cite ces 4 ONG car elles participèrent aux « tables rondes » sur la chasse organisées à partir de mai 2008, dans le sillage du Grenelle de l’Environnement, par Jean-Louis Borloo (ministre de l’Ecologie), sous la présidence de Jérôme Bignon, président du groupe chasse à l’Assemblée nationale.

Elles ne sont pas exemptes de critiques. Voir par exemple quelques billets peu amènes que Fabrice Nicolino a consacrés à FNE ou à la Ligue ROC ici, ou encore .

Et les mouvements plus radicaux peuvent parfois reprocher à certaines associations de rechercher avant tout l’or des ministères et l’argent des subventions publiques. La question vise plus particulièrement des ONG comme le « ROC » (Rassemblement des Opposants à la Chasse), devenue « ligue ROC » en 2001, puis « Humanité et Biodiversité » en 2012, évolution vers le politiquement correct qui lui a fait perdre un grand nombre d’adhérents et de sympathisants.

Mais l’accès à l’or des ministères est un moyen d’être entendu (même s’il s’agit le plus souvent d’être roulé dans la farine), et l’accès à l’argent des subventions peut aider à tenir tête à des lobbies comme celui de la chasse, dont on sait les fonds considérables.

Ainsi, le processus de négociation auquel se sont pliées ces ONG n’est pas totalement inutile, puisqu’il a permis la signature de deux accords portant notamment sur les dates de chasse des oiseaux migrateurs (en juillet 2008 puis en janvier 2010), la création du GEOC en 2009, instance scientifique sur la gestion des oiseaux sauvages, ou encore la promesse par François Hollande, lors de la conférence environnementale de septembre 2012, de la création d’une Agence Nationale pour la Biodiversité.

Et reconnaissons que ces ONG sont dans une situation inconfortable, toujours tiraillées entre :

- leur volonté de négocier afin d’obtenir des compromis concrets dans l’intérêt des animaux (au moins en tant qu’espèces) ;

- leur exaspération de voir le lobby cynégétique et le monde de la politique tricher constamment.

 

- Côté éthique :

. L’ASPAS (Association pour la Protection des Animaux Sauvages) ne fait pas explicitement référence à une logique « éthique », mais beaucoup d’opposants au principe de la chasse de loisir se reconnaissent dans cette association, car elle est active et efficace.

. Le RAC (Rassemblement pour l’Abolition de la Chasse), explicitement opposé à la chasse de loisir, est en quelque sorte l’ONG qui a pris la suite du ROC, après que celui-ci ait évolué vers la plus confortable position écologiste.

. Parmi les ONG de défense animale « polyvalentes » résolument opposées à la chasse de loisir, citons :

. coté « welfariste », la LFDA (La Fondation Droit Animal, éthique et sciences) ;

. côté « abolitionniste », la CVN (Convention Vie et Nature), dont la chasse de loisir est l’un des champs de bataille privilégiés (son président, le magistrat Gérard Charollois, a publié en 2009 un ouvrage riche en références « Pour en finir avec la chasse »), DDA (Droits des Animaux), ou One Voice.

. Les ONG traditionnelles de protection animale dans la lignée de la SPA, qu’on pourrait dire animées d’une « éthique de sollicitude », sont quant à elles centrées sur la protection des animaux domestiques, mais s’associent volontiers aux démarches contre les formes de chasse jugées particulièrement cruelles (par exemple la FBB).

. Le CACC (Collectif pour l'Abolition de la Chasse à Courre) vise quant à lui une forme particulière de chasse.

 

En conclusion :

Faut-il opposer à la chasse de loisir française une contestation écologique, ou bien une contestation éthique ?

Pointons d’emblée que la problématique n’est pas strictement binaire :

- d’une part, il existe au sein des ONG « écologiques » de nombreuses personnes sensibles non seulement à la biodiversité, mais également à la souffrance animale ;

- et d’autre part, les ONG qu’on a classées dans le groupe « éthique » sont en règle également attentives au sort des espèces et à la protection des milieux où elles évoluent.

Et j’aurais pour ma part tendance à penser, dans une vision systémique de la contestation, que chaque courant a sa place. Je dirais même que, paradoxalement, chaque courant renforce la légitimité de l’autre.

JPR.