L'associatif biocentriste : un modèle pour le politique anthropocentré

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1712 ? Non, non, 2012...Samedi 23 juin a eu lieu au cœur de la ville d'Amiens une manifestation contre le projet baptisé « usine Ramery ». Késaco ? Un certain Michel Ramery, entrepreneur de travaux publics du Nord, a décidé de créer une « ferme » industrielle de 1 000 vaches et 750 génisses sur les communes de Drucat-le-Plessiel et Buigny-Saint-Maclou dans la Somme. Les guillemets sont ici de rigueur puisque cette ferme sera un bâtiment où les animaux d'élevage seront enfermés 365 jours par an, nourris à base de soja OGM et autres dérivés alimentaires nocifs.But de l'opération : d'une part produire bien sûr du lait à échelle industrielle, d'autre part récolter le volumineux lisier qui découlera de cet élevage concentrationnaire pour l'insérer dans le méthaniseur construit juste à côté de la ferme-usine afin de produire de l'électricité revendue à EDF et autres sociétés d'énergie peu regardantes sur le degré d'éthique de leurs fournisseurs.

Le cortège fourni présentait un hétéroclisme peu rencontré jusqu'ici au sein de telles manifestations.

On y trouvait l'association Novissen (comprenez : nos vies saines) qui regroupe les habitants des communes où l'usine doit théoriquement s'implanter.

On y trouvait des associations à caractère environnementaliste (L214 à l'origine de l'appel et du succès de la mobilisation, la Protection mondiale des animaux de ferme, Convention vie et nature, Vegnord, Les amis de la terre, France nature environnement, Le sanctuaire des hérissons...).

On y trouvait des représentants politiques. Oh, bien sûr, ni l'UMP ni le PS puisque l'objectif était ici de dénoncer une dérive de leur dieu sacré dénommé capitalisme. Il y avait donc quelques militants du Front de gauche, deux ou trois responsables locaux d'Europe écologie, ainsi que quelques adhérents de la Confédération paysanne (permettez-moi de les inclure dans cette catégorie, José Bové s'étant présenté sous cette bannière lors de la Présidentielle de 2007).

Des gens de divers horizons qui ont fait masse durant deux heures pour dénoncer l'inique projet.

Mais lorsque fut venu le temps de prendre la parole devant la Préfecture où fut remise la pétition de 22 000 signatures collectées en moins d'un mois, il faut reconnaître que l'exposition des différentes revendications mit en lumière le clivage entre l'anthropocentrisme aigu des uns et le biocentrisme assumé des autres.

Pour l'association Novissen, il s'agissait avant tout de protester contre le risque sanitaire pour les habitants et contre l'expansion du trafic routier inhérent à un tel projet.

Pour la Confédération paysanne, le mot d'ordre était la défense des petites exploitations qui voyaient là une concurrence de nature industrielle menaçant leurs produits et marchandises de qualité (eh oui, en dehors de l'élevage concentrationnaire l'animal est aussi avant tout une marchandise et non un être sensible).

Pour les autres partis politiques, un seul mot à la bouche : l'humain, encore l'humain, toujours l'humain, seulement l'humain. Un leitmotiv amenant même un des adjoints de l'une des communes concernées par le projet à inviter l'assistance à interpeller la classe politique locale et nationale afin de voir naître, comme en Allemagne, une loi interdisant l'implantation de ce type de ferme industrielle à moins de deux kilomètres de toute habitation. Montrant ainsi qu'il n'avait rien compris aux motivations de plus de la moitié des présents qui n'étaient pas là pour un quelconque souci de distance géographique mais pour le risque d'apparition d'un nouveau lieu de martyr pour bovidés.

Quel soulagement donc d'entendre Brigitte Gothière de l'association L214 rappeler cet état de fait : qu'avant tout un projet de ferme industrielle de 1 000 vaches laitières est synonyme de 1 000 êtres en état de souffrance continue, de 1 000 séparations annuelles douloureuses entre des veaux et leurs mères à qui l'on pourra ainsi voler le lait. Que ces ignominies, on les retrouve dans tout élevage à l'heure actuelle, qu'ils soient industriels ou à « échelle humaine » (constat basique qui n'a pas manqué de faire grincer des dents les agriculteurs présents).

Quelle joie d'écouter Constance le Gonidec de la PMAF renforcer ces propos en affirmant que tout projet de civilisation digne de ce nom doit avoir pour fondations le droit au bien-être, donc de ne pas souffrir, pour tout être sensible, sous peine d'inévitable échec. Et donc qu'il n'y a pas à se prononcer pour le respect de l'homme ou de l'animal, mais bien exiger le respect de l'homme et de l'animal.

Gageons que les politiques anthropocentrés s'inspirent un jour de ce courant biocentriste associatif, ce qui leur donnerait à coup sûr un peu plus de crédibilité et de légitimité aux yeux d'un peuple qui les considère aujourd'hui déconnectés des aspirations des citoyens qui les ont élus et un peu trop concentrés sur leur carrière.

Espérons également que nos médias combleront à court terme leur retard de sincérité lorsqu'il s'agit d'évoquer, ou plutôt de ne pas évoquer, l'éthique animale qui est un sujet de société pas moins noble qu'un autre. Ils nous avaient habitués à leur boycott systématique des manifestations regroupant uniquement des associations présentes pour l'amélioration des conditions de vie d'une espèce animale lambda. Quiconque a pu visionner ou entendre le traitement médiatique de la manifestation d’Amiens par France 3 Picardie et par France Info aura aisément relever la politique d'écrémage de ces médias pour faire disparaître l'aspect éthique qui était pourtant la composante qui avait fait venir le plus de militants.

Big brother n'est jamais très loin...


David Joly

Vice-Président CVN