Peur et culpabilité

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Face à un fléau, l’homme peine à comprendre, admettre et réfléchir.
Une peur modérée invite à la prudence.
Une peur massive paralyse la raison et condamne à l’impuissance.
Les grandes épidémies du passé générèrent des comportements que l’on retrouve en ces jours d’exception.
Lors des pestes de 1348, 1620 et 1720 à Marseille, il fallait apaiser un dieu colère, expier les fautes des hommes par des pèlerinages, des flagellations mais aussi des exactions contre les
 vecteurs du mal, notamment les juifs.
Tout mal appelle un coupable à punir et il faut trouver au désastre un bouc émissaire expiatoire.
Or, un agent pathogène n’a rien de divin et ne sort pas d’une éprouvette d’un savant fou.
Pour la peste, un stupide bacille sévissait et il fallut attendre 1894 pour qu’Alexandre Yercin l’identifie.
Ces temps ignoraient l’hygiène, les antibiotiques et les vaccins et le tiers de la population disparaissait en quelques semaines.
Les virus, indifférents aux antibiotiques, accompagnent le vivant depuis sans doute deux milliards d’années et s’adaptent aux milieux.
Par nos modes alimentaires, par nos déplacements frénétiques, par nos concentrations de populations, nous offrons aux virus des occasions favorables de mutation et de prolifération.
Rien de magique ou de conspirationniste dans ce mécanisme biologique.
Pour un virologue, ce qui surgit était prévu et seuls le moment et l’endroit restaient inconnus.
Un virus, demain, peut apparaître avec la contagiosité du coryza et la létalité du VIH initial et il faudra des décennies pour trouver une parade médicale.
D’où la nécessité d’empêcher impérativement la propagation d’un tel agent pathogène dès son apparition, avec interruption des mouvements de populations entre la zone d’émergence et le reste
 du monde.
D’un point de vue éthique, il me semble indifférent de savoir qu’une maladie guérit dans 95% des cas, car celui qui meurt se trouve mort à 100% et c’est cet individu qui m’importe sous l’angle
 moral.
N’en déplaise aux contempteurs de l’écologie, je ne substitue pas la nature, aujourd’hui, au dieu du moyen-âge.
En incriminant la consommation cruelle et nocive de la faune sauvage, dans l’émergence de la pandémie, et le rôle du transport aérien dans sa propagation planétaire, je ne formule pas des imprécations irrationnelles mais des données scientifiques.
Distinguons toujours la science et l’éthique non pour les opposer mais pour en réserver le champ différent d’investigation.
Il faut abolir la chasse, la corrida, tous les actes de cruautés envers le vivant pour des considérations éthiques.
Il faut traiter les pathologies par-delà le bien et le mal.
Pour moi, la vengeance de la chauve-souris et du pangolin est une métaphore et non un fait de raison.
Ainsi, pour prendre un exemple de ce double degré de réflexion, je dirai qu’il m’est indifférent que les plantes OGM soient ou non dangereuses pour notre santé, puisque je suis du parti des
 bleuets et des coquelicots par choix purement éthique.
Protégeons la nature non pas parce qu’elle est bonne (il existe des champignons vénéneux) mais pour des raisons morales.
Seuls ces impératifs éthiques permettront à l’humanité de de ne pas être une impasse évolutive.
Dans un million d’année, il se pourrait que rien ne demeure de la civilisation d’homo sapiens si celui-ci perdurait à n’être qu’un nuisible cupide et exploiteur.
Car la cupidité prévaut dans les malheurs des humains.
Pourquoi n’a-t-on pas interrompu les voyages entre la Chine et le reste du monde en décembre dernier ?
Parce que la mondialisation des échanges, l’industrie touristique, le bilan financier annuel des voyagistes et des transporteurs aériens imposaient un refus de sacrifier très temporairement
 leurs immenses intérêts économiques, à l’instar des négociants Marseillais qui en juin 1720 introduisaient la peste à MARSEILLE pour récupérer leurs soies orientales infestées.
Cette cupidité est à l’œuvre partout dans la société dite économiquement libérale vouée au culte de l’entreprise privée et du marché.
Les espaces naturels sont saccagés, les animaux réduits à des marchandises et le fonctionnement biotique de la planète est menacé.
Que pouvez-vous faire ?
Trois choses.
- Instruisez-vous pour comprendre le monde et acquérir la maîtrise nécessaire.
- Agissez pour mettre vos acquis au service de la vie.
- Regroupez-vous, pour constituer une force qui s’oppose à la force de mort des exploiteurs du vivant.
Faut-il avoir peur ?
Oui, mais que la peur soit constructive, source de prudence et de volonté de surmonter l’adversité.

Gérard CHAROLLOIS