Commentaires sur le film ALF de Jérôme Lescure

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L'avis de Jean-Paul RICHIER  ...


Je suis allé  voir A.L.F,  le film de Jérôme Lescure axé autour d’une action de militants de la cause animale. C’était le 16 novembre à Paris, un soir où l’équipe était présente pour un échange.

Les qualités du film, et les écueils qu’il doit affronter :

Jérôme Lescure est un homme qui met son énergie et ses talents professionnels au service d’une cause difficile, surtout en France.
De l’énergie, il en fallait, il a dû tenir le coup pendant 5 années, depuis la naissance du projet en 2007, jusqu’à sa sortie en salles ce mois de novembre 2012. C’est un costaud, le Lescure.
Du talent, il en fallait aussi pour réaliser un film dont le budget, vous vous en doutez, n’a rien de comparable avec Astérix et Obélix. Le réalisateur a compensé par une mise en scène intimiste, avec beaucoup de gros plans et de plans d’intérieurs. Mais on n’est pas dans un téléfilm, l’image est très soignée, les visages scrutés dans les détails sont particulièrement humains, les décors sont d’un réalisme minutieux, la qualité de l’image rend beau le banal.. Et la bande-son est travaillée, là aussi le détail des voix comme des arrière-plans sonores est riche.
Il fallait donc que les acteurs aussi aient du talent, et c’est le cas. Ceux-ci étaient donc présents au terme de la projection, pour un échange avec l’auditoire où ils se sont révélés particulièrement attachants (et non dénués d’humour).

Bien entendu, ce film, après avoir affronté tous types d’écueils depuis sa conception jusqu’à son exploitation, doit à présent affronter des écueils dus à sa nature.
Il y a l’écueil redoutable du film « militant ». Surtout sur un sujet encore mal considéré, surtout, répétons-le, en France. Les critiques professionnels sont en règle extrêmement sévères envers les films à thèse. Et le public peut avoir peur de subir un film de propagande. En tout cas d’affronter un film sombre sur un sujet dur après la grisaille de la vie quotidienne.
Il y a aussi l’insertion d’images documentaires de sévices caractérisés envers les animaux, qui peut paradoxalement détourner le public le plus réceptif au thème du film. Cependant le réalisateur a opéré un montage très étudié, de façon à ce que ces brèves images soient suffisamment évocatrices, mais en prenant soin de ne pas chercher à susciter (trop) de malaise chez le spectateur.

Il y a le choix du sujet, à savoir une opération commando façon A.L.F. L’Animal Liberation Front est un réseau de militants s’engageant dans des actions directes illégales (d’où la cagoule symbolique).
Le FBI classe l’ALF parmi les « éco-terroristes » . En France, où les défenseurs des animaux, quels qu’ils soient, sont qualifiés d’extrémistes et de terroristes par les lobbies cynégétiques ou taurins, l’ALF est volontiers diabolisée. Et la cagoule évoque peut-être dans l’esprit du public les terroristes corses que les hommes du GIGN…

Le film incite-t-il aux actions illégales ?

Il n’incite ni ne dissuade. Il repose sur un scénario axé sur les tenants et les aboutissants d’une action illégale. Mais en choisissant d’insister sur l’épaisseur humaine des protagonistes, justement afin d’interpeller le spectateur sur cette apparente contradiction. Cette contradiction est mise en avant sur l’affiche du film, où une larme coule de l’œil du militant cagoulé.
Je dirais que l’essence du film est là.
Les participants à l’action ne sont pas des sectaires dangereux. Ce ne sont pas des illuminés hors réalité. Ce sont au contraire des êtres particulièrement humains, menant des vies humaines diverses, avec les problèmes et les peines de l’être humain « normal », décrits dans le film avec une précision quasi clinique. Et loin d’être éloignés de la réalité, ils sont au contraire animés (pour ne pas dire torturés) par leur conscience aiguë des souffrances animales réelles.
Le film A.L.F. n’est pas un film marginal, en ce sens qu’il est soutenu par des grandes associations de protection animale comme la SPA ou la FBB, et relayé par des émissions comme Vivre avec le bêtes sur France Inter.
Rappelons que Jérôme Lescure  était dans l’arène de Rodilhan, où les taurins ont roué de coups des militants pacifiques l’an dernier. Et rappelons que cet homme au physique imposant a pratiqué des sports de combat. La non-violence, chez lui, n’est pas un vain mot.

Le questionnement théorique : les actions illégales peuvent-elles être légitimes ?

Un pilier de la philosophie continentale du Siècle des Lumières comme Kant écartait toute idée de rébellion contre le Droit, fût-il tyrannique. Pour lui, il fallait que le changement procède de la réforme venue d’en haut, et non de la révolution venue d’en bas.
Depuis, l’idée de révolution légitime s’est imposée dans le monde. Soulèvement des populations opprimées contre un clan despotique, soulèvement des classes exploitées contre les classes dominantes, soulèvement des pays envahis contre le vainqueur totalitaire, soulèvement des peuples asservis contre un pouvoir colonial.
Mais dans des régimes démocratiques comme le nôtre, cette question est plus que jamais problématique. Certes, si la dictature, c’est “ferme ta gueule”, la démocratie est plus que jamais “cause toujours”. Malgré tout, la fameuse formule prononcée par Churchill en 1947 reste toujours valable en 2012 : “democracy is the worst form of government except all those other forms that have been tried from time to time.”

Les actions d’ALF sont illégales, mais en principe n’attentent pas aux personnes, seulement à la propriété (soit en endommageant des installations, soit en libérant des animaux captifs, comme dans le film).
Les activistes se revendiquant d’ALF argumentent que l’étendue des souffrances imposées aux animaux par l’homme justifie l’action directe illégale. Que la vraie violence n’est pas de leur côté, mais du côté des exploiteurs d’animaux. Et que l’appropriation d’animaux par les hommes n’est pas légitime, donc que la vie des animaux importe plus que le droit de propriété.
Selon le FBI, l’ « éco-terrorisme » est censé représenter une menace « intérieure », aux côtés des suprémacistes blancs ou des milices anti-gouvernementales. Mais c’est en fait avant tout au titre d’un « impact économique considérable ». De même, l’Animal Enterprise Terrorism Act adoptée par le Sénat américain en 2006 vise à protéger des intérêts économiques.

En ce qui concerne les animaux sauvages, je pense qu’il faut soutenir sans état d’âme les actions dites de « hunt sabotage » contre la chasse de loisir, ainsi que les actions de type Sea Shepherd  contre l’exploitation commerciale des animaux marins.
En ce qui concerne les animaux en captivité, il va sans dire qu’on doit soutenir les actions clandestines de prises d’images dans les lieux d’élevage, de transport et d’abattage, ou dans les lieux d’expérimentation. Et les actions de protestations pacifiques de terrain comme l’action dans l’arène de Rodilhan.

A l’opposé, certaines actions sont absurdes, voire parfaitement stupides, par exemple l’incendie d’une camionnette vendant des hot-dogs près d’un concert en plein air, en Italie. Sauf à décider qu’il faut frapper les 99,9 % de la population participant de près ou de loin à l’exploitation des animaux par l’effet du système.
Rappelons à ce propos qu’ALF est un réseau informel, tout activiste animaliste pouvant s’en revendiquer (de la même manière que tout hacktiviste peut se revendiquer d’Anonymous ).

La question reste ouverte pour les autres types d’action, comme les libérations d’animaux captifs.
Dans un sens, le comportement des hommes vis-à-vis des animaux n’a rien à voir avec le comportement d’un simple prédateur. La variété et la quantité de sévices que nous imposons à de multiples espèces, dès lors qu’on accepte d’en prendre conscience, suscite volontiers un sentiment de révolte. Vouloir intervenir par l’action directe est compréhensible, d’autant qu’on trouve dans l’histoire maints exemples de situations maintenant considérées comme inacceptables, mais qui avaient la bénédiction de la loi.
Dans un autre sens, il faut être prudent dans le maniement de l’action illégale au motif des convictions personnelles. En effet, dans une société démocratique, qui va juger de la légitimité d’une action, qui va fixer le seuil à partir duquel elle devient elle légitime, qui va déterminer jusqu’où elle peut aller, dès lors que ce n’est plus le droit ? Nous avons tous à l’esprit des exemples de mouvements appelant à l’illégalité pour des raisons politiques ou religieuses, en France ou ailleurs, et dont les actions nous paraissent indéfendables, mais qui sont intimement convaincus d’être au-dessus des lois.

Nul ne peut prétendre détenir la vérité définitive sur cette question complexe. Complexe car les cas de figures sont multiples. Complexe car les positions éthiques sont plurielles. Complexe car l’articulation de la morale et du droit est un sujet sensible. Complexe enfin car il faut mettre en balance l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité, et évaluer l’impact stratégique de telle ou telle démarche.
A chacun de se forger une opinion.

Le film de Jérôme Lescure incite chacun à se questionner, qu’il soit impliqué ou pas dans la cause animale. Je lui souhaite une longue carrière.


Notre point de vue  militant ... et amical.  Par Josy et Gérard Martin.


Nous avons pu voir le film de Jérôme lundi  soir, 12 Novembre ... Malgré une presse quasi muette sur l'évènement et une critique relativement  hostile, la seule salle "Le Chaplin" qui diffusait le film ce soir là à Paris, a refusé  des spectateurs. La bonne nouvelle est que le Publicis champs Elysées qui a connu la même situation la semaine dernière a décidé de re-programmer le film  pour la semaine qui vient ... Les quelques critiques qui se sont exprimés  sur le film ont décidé de le disqualifier, certains évoquant le "militantisme lourdeau" du cinéaste d'autres son insupportable "candeur"... On croit rêver. Il s'agit de l'incontestable démission intellectuelle d'une critique qui refuse d'affronter un sujet.
Car le film est remarquable. Par l'intensité par son thème (la désobéissance civile en réponse aux insupportables  cruautés infligées aux animaux),  sujet qui n'a jamais été abordé dans une fiction française, mais aussi par sa facture :  scénario, montage, direction d'acteur qui contribuent à le hisser à un niveau cinématographique très respectable.  Le face à face en huis clos d'un policier et d'un prévenu accusé d'avoir violé la loi pour libérer des chiens promis à la vivisection sert de prétexte à un terrible réquisitoire sur la façon dont le monde moderne traite les animaux... Des images flash nous font visiter des lieux de terreur qu'on aurait peine à imaginer. Même avertis, certaines d'entre elles nous laissent dans la sidération... Comment a-ton pu en arriver là ? Comment l'humanité a-t-elle pu construire de tels enfers et comment vivre avec cette idée ? Ces questions sont au centre du film. Mais Jérôme n'abuse pas de ce procédé et il nous propose aussi un vrai film de cinéma de fiction qui nous captive et bien sûr nous interpelle très fort...
Laissons lui la parole   : "L'argent ne m'importe pas. Je souhaite simplement que mon film soit vu pour que les gens sachent ...".

 


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