Polémique autour du véganisme ...

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Le 18 mars 2018, dans Libération paraît une tribune signée par Paul Ariès, Frédéric Denhez et Jocelyne Porcher. Son titre :" Pourquoi les végans ont tout faux". S'ensuit un argumentaire totalement caricatural qui dénote, soit de la mauvaise foi, soit une totale méconnaissance du sujet de la part des auteurs. (Accéder à cette tribune par ce lien).

Nous relayons ci-dessous un article d'Aymeric CARON qui répond point par point à ce pitoyable pamphlet ...


Véganisme : «Réunir tant de clichés en si peu de lignes est un exploit»

Chers Paul, Frédéric et Jocelyne,

Vous avez fait fort. Réunir en si peu de lignes tous les clichés, mensonges et archaïsmes véhiculés depuis des années contre les végans par les lobbys pro-viande est un exploit qui mérite d’être salué. Le véganisme apparaît dans votre tribune comme «un monde terrifiant», «dangereux», qui «menace de nous faire perdre notre humanité» et nous «condamne à la disette». Et nous, les végans, serions «les idiots utiles du capitalisme», accusation pour le moins étrange puisque la philosophie du véganisme est contraire à la logique néolibérale qui repose à la fois sur le consumérisme et sur l’exploitation des plus faibles. Pour atténuer vos angoisses, sachez d’abord que le véganisme ne provoquera pas de famine. Au contraire. Il faut actuellement entre trois et treize calories végétales pour produire une seule calorie animale. Aujourd’hui, plus des trois quarts des terres agricoles de la planète sont consacrés au bétail, que ce soit pour leur nourriture ou pour le pâturage. Alors que la population mondiale a doublé ces quarante dernières années, l’alimentation végétale apparaît comme le seul moyen raisonnable de nourrir l’humanité. Faut-il par ailleurs rappeler les dégâts environnementaux causés par les élevages - pollution des sols, production de gaz à effets de serre, destruction des forêts ? A l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique, la fin de la viande apparaît comme une nécessité participant à la survie de l’espèce humaine, et non à sa destruction.

Vous vous inquiétez également de l’apparition prochaine de viandes artificielles à base de «cellules musculaires de poulet, de bœuf ou de porc», bourrées d’antibiotiques et d’hormones, preuve selon vous de la collusion entre végans, Gafa et fonds d’investissement. Je ne comprends pas ce que viennent faire les antibiotiques dans cette histoire mais rassurez-vous, nous n’en sommes pas là, et je doute que les produits que vous décrivez, s’ils voient le jour, connaissent un grand succès parmi les végans qui s’en passent très bien aujourd’hui. Contrairement à vos affirmations, nous ne mangeons d’ailleurs pas plus de produits transformés que les autres, au contraire. Nous trouvons tous les nutriments dont nous avons besoin, notamment les protéines, dans les légumineuses, les légumes verts, les céréales et les fruits. Et nous nous portons très bien, merci pour nous ! «Quelle est la responsabilité des légumes dans la bonne santé des végétariens ?»demandez-vous. On la connaît pourtant, preuves scientifiques à l’appui, tout comme on connaît la responsabilité de la viande dans certains cancers et maladies cardio-vasculaires. Une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) nous le rappelait en 2015.

Mais le meilleur passage de votre tribune concerne le sort des animaux d’élevage. Selon vous, ils sont heureux et reconnaissants d’être tués par nos soins. Vous en êtes sûrs, ils vous l’ont dit : «Depuis 12 000 ans, écrivez-vous, nous travaillons et vivons avec des animaux parce que nous avons des intérêts respectifs à vivre ensemble. […] Ainsi est-il probable qu’ils ne demandent pas à être "libérés". Ils ne demandent pas à retourner à la sauvagerie. […] Ils demandent à vivre avec nous.» Il faut une sacrée mauvaise foi pour oser affirmer que les vaches, les cochons ou les poulets que nous envoyons à l’abattoir ont les mêmes «intérêts» que nous dans la relation que nous leur imposons et qu’ils se satisfont de leur sort. La grande majorité d’entre eux ont été élevés dans des conditions lamentables, sans liberté de mouvement, en ayant subi des mutilations à vif dès le plus jeune âge. Dès qu’ils sont assez gras pour satisfaire nos estomacs, ou dès qu’ils ne sont plus assez productifs, ils sont exécutés. Quelle reconnaissance pourraient-ils bien nous manifester ? Un cochon tué à 6 mois alors qu’il aurait pu vivre 15 ans doit-il vraiment nous dire merci ? Si l’on vous trucidait dans une ruelle, remercieriez-vous votre assassin ?

Dans votre tribune, vous oubliez l’essentiel : pas un mot sur l’antispécisme, dont découle pourtant le véganisme. Si les végans ne mangent plus d’animaux, ni de produits issus de leur souffrance, c’est, pour beaucoup d’entre eux, en raison d’une cohérence éthique. Les végans posent une question très simple, que vous évitez soigneusement : pourquoi serions-nous autorisés à ôter inutilement la vie à des êtres sensibles, intelligents, sociaux, qui ne demandent qu’à poursuivre leur existence, comme chacun d’entre nous ? Epargner des innocents et en prendre soin ne peut nuire à notre humanité. Bien au contraire, c’est le seul moyen de la renforcer.

Salutations antispécistes.
 
Aymeric CARON
 
 
A signaler également la réponse très argumentée de Florence Dellerie dans" Médiapart" . (Voir ce lien).