L’élevage, avec un E comme barbarie

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par David Joly - Vice-président de la Convention Vie et Nature


Le 19 septembre dernier, nos amis de L214 ont organisé un énième happening place Saint-Michel à Paris, pour dénoncer une fois de plus les souffrances physiques et psychologiques endurés par les animaux de ferme.

Cette fois-ci, chaque participant est resté immobile une heure durant, avec au creux de ses bras le cadavre d’un porcelet récupéré au sein d’un élevage. Mort avant d’atteindre l’âge adulte, parfois dès la naissance. En raison d’une maladie contractée du fait des conditions de détention et d’hygiène, mais plus souvent parce qu’il a été abattu par son bourreau que l’on nomme officiellement éleveur, ce dernier estimant que ledit porcelet n’aurait pas présenté une croissance qui lui aurait permis d’en tirer assez de revenus. Et la mise à mort ne doit pas coûter un kopeck, toujours dans un souci de maximisation du profit : le porcelet a donc été projeté violemment contre le sol ou un mur, ou s’est vu injecter une dose de détergent qui le fit agoniser dans d’atroces souffrances. Son cadavre prenant alors la direction des poubelles de l’élevage, ou simplement abandonné sur la voie publique.

Comme indiqué en introduction, il s’agissait bien sûr de dénoncer l’enfer que vivent les cochons, mais plus généralement tous les animaux condamnés à mourir sans avoir vécu.

Un fait divers est venu rappelé cette semaine que cet enfer ne s’arrête pas aux portes des prisons rurales de nos campagnes, mais se poursuit jusqu’à ce que les victimes désignées perdent la vie au sein des camps d’extermination de ce 21ème siècle, connus sous le nom d’abattoirs.

Concernant les bovins, il existe une étape supplémentaire dans cette escalade de l’horreur : le passage par le marché aux bestiaux. Parce que généralement, ce sont des négociants qui viennent acheter les condamnés à leurs propriétaires, les embarquant sans ménagement dans des fourgons pestilentiels et inadaptés, pour ensuite les revendre.

« On aime nos bêtes » disent-ils. « Comme nos enfants » précisent-ils parfois. On veut bien les croire, mais quel parent aimant mettrait consciemment sa progéniture dans les mains du premier maquereau qui passe pour quelques billets ?

Une fois la transaction effectuée, direction le foirail où l’on va tenter de dégager les plus belles marges possibles sur des êtres dont le caractère sensible et la capacité de souffrir vont être bafoués comme jamais.

Parce que la seule chose qui compte dans ces lupanars du monde agricole, où l’on commerce sur la chair à consommer, ce sont les espèces sonnantes et trébuchantes qui, passant de main en main, échapperont aisément au fisc.

En 2009 sortait un ouvrage intitulé Ces bêtes qu’on abat. Écrit par Jean-Luc Daub qui, pendant 15 ans, de 1993 à 2008, enquêta sur les abattoirs français. Il y relate l’un de ses passages au sein de ces endroits démoniaques. C’était en 1995 :

 Il était 7 heures 45 lorsque je me rendis sur un marché aux bestiaux de Bretagne. Si certains animaux étaient traités convenablement, il y avait par contre beaucoup de brutalité et de coups violents distribués tous azimuts. […]Aucun animal ne fut abreuvé en ma présence, il n’y avait pas d’installations prévues à proximité des bêtes. Certains animaux étaient là depuis la veille, sans rien à boire ni à manger, alors même qu’ils avaient pu faire de longs transports avant d’arriver sur le marché. […]La plupart des bœufs, sous le hall de présentation, étaient très serrés les uns contre les autres et attachés la tête en bas. Ils ne pouvaient pas se coucher. Une vache avait beaucoup saigné, elle avait certainement mis bas peu de temps avant. Plusieurs bovins d’un même groupe boitaient et gardaient une patte en l’air. Une vache isolée avait un œil crevé, une autre une tumeur. Un veau avait l’oreille entaillée jusqu’à la boucle d’identification. […]J’ai vu à plusieurs reprises des négociants faire avancer les animaux à coups de ciseaux. Un négociant avec qui j’ai discuté m’a montré comment il faisait avancer les bêtes avec son couteau pointu. Trois taureaux étaient attachés à la tête très près du sol ; l’un saignait de la gueule et un autre présentait des coupures régulières et fraîches sur le dos et sur le côté droit. Il était courant de donner des coups d’aiguillon (sorte de clou dépassant de l’extrémité du bâton) pour déplacer les animaux.

 Vingt ans plus tard, rien n’a changé, puisque personne, qu’il s’agisse des services vétérinaires comme des représentants de la force publique, n’ose s’aventurer dans ces lieux de maltraitance et de violence. Car lorsque cela s’avère nécessaire, on n’y hésite pas à administrer le même traitement aux individus trop curieux ou venus faire respecter les lois de la République. Et à l’image des manifestations de la FNSEA qui dégénèrent systématiquement, l’impunité assumée par l’État est la norme.

On assiste donc toujours à ces dramatiques situations. Ce 11 octobre, le quotidien local L’Union nous apprenait qu’un bœuf avait agonisé durant 48 heures, les deux pattes arrière cassées, abandonné sur le foirail de Rethel, petite ville des Ardennes. 48 heures avant que quelqu’un se décide à appeler les services vétérinaires pour abréger ses souffrances. Devenu sans valeur marchande du fait de son état physique, il avait été abandonné par son propriétaire. Et le rentier des lieux, Yannick Goury, a donc trouvé logique de quitter le parking désert de sa société, où cette pauvre bête était visible comme le nez au milieu de la figure, et de rentrer chez lui comme si de rien n'était.

Deux plaintes ont été déposées, l’une par LISA, une association locale, l’autre par L214.

Des Yannick Goury, il y en a une pléthore dans ce pays, qui assurent ce sort abominable à des millions d’êtres sensibles. Aux côtés de tous les Laurent Wauquiez arrosant abondamment d’argent public les fédérations de fossoyeurs de la faune sauvage et des Simon Casas détournant de la TVA via l’organisation de séances de torture dans des arènes, ils forment ensemble ce terreau putréfié qui constitue aujourd’hui la lie de notre humanité.

 

DJ