Pulsion de vie contre pulsion de mort

Avec le psychiatre Erich Fromm, je pense que des pulsions biophiles et des pulsions thanatophiles s’affrontent dans chaque individu, dans chaque société.

Il y a des individus plutôt biophiles et d’autres plutôt thanatophiles, ceux-ci véritables délinquants relationnels qu’il est préférable de ne pas rencontrer et qui doivent émarger dans notre cercle d’éviction.

Les personnes à dominante biophile n’aiment pas la guerre, la chasse, la tauromachie, l’exploitation d’autrui et ne placent pas les relations humaines dans un rapport d e domination.

Chacun de nous possède ainsi son degré de biophilie et de thanatophilie.

Quant à la société, elle fluctue entre ces deux pôles contradictoires.

Certains essayistes, à la droite de l’échiquier de la pensée, déplorent l’adoucissement des mœurs, la féminisation de la société, l’abandon de la virilité guerrière d’autrefois, le déclin du patriarcat d’antan, l’affaiblissement des caractères, l’intolérance à la violence de notre temps.

Ces commentateurs réactionnaires regrettent le bon vieux temps des ardeurs belliqueuses, de la suprématie du mâle avec, pour idéal final, le jeune SS aux poings de fer, héros flamboyant, tutoyant la mort glorieuse.

Ils s’affligent de retrouver, en notre temps de « décadence », le cri « viva la muerte », non pas chez le valeureux fasciste de leur race, mais chez l’ennemi djihadiste qui célèbre encore ce culte de la mort qu’énonça clairement Ben Laden : « vous, occidentaux, aimez la vie ; nous aimons la mort ».

A l’inverse de ces penseurs réactionnaires et thanatophiles, je me réjouis de l’évolution de la société vers cette intolérance à l’égard de la violence.

Bien sûr, nos contemporains n’ont pas conscience de ce progrès moral qu’il me plaît de souligner et d’illustrer par une simple constatation.

En 2015, la France fut victime d’attentats islamistes qui firent près de deux cents victimes.

Une seule victime serait une victime de trop, surtout lorsqu’elle s’appelle CABU, Bernard MARIS et autres amis de combat biophiles.

Mais en 1915, deux cents jeunes Français mouraient, en une heure, sous le feu de la guerre civile européenne.

L’opinion publique admettait globalement ce massacre de près de deux millions d’hommes, alors qu’à très juste titre, nous éprouvons une répulsion pour les meurtres perpétrés au nom d’un dieu dont nous sommes nombreux à savoir qu’il n’existe pas.

En un siècle, l’intolérance à la violence a progressé.

Il en est de même des violences domestiques, naguère impunies, aujourd’hui légitimement sanctionnées par des lois récentes et des tribunaux sensibilisés aux agressions contre les enfants et aux abus de faiblesses, tribunaux qui gagneront à être davantage sensibilisés, demain, en faveur des animaux.

Ces conquêtes de la biophilie expliquent la condamnation de la chasse par la majorité de nos contemporains et la diminution du nombre des pratiquants d’un loisir qui n’est nullement «un art de vivre», mais un art de tuer.

Si la notion de « progrès » conserve un sens positif, c’est bien dans cette guérison de la pulsion de mort qu’il faut le trouver.

Est-ce à dire que la vie va l’emporter, que l’humain s’hominise enfin en extirpant de son esprit la pulsion de mort ?

Qu’il suffit d’attendre que le temps fasse son œuvre et remplace les générations ?

Observons que, de nos jours, la thanatophilie revêt une autre forme plus sournoise, plus rusée, moins sanglante, mais terriblement nocive pour le vivant.

Elle tient à un système de valeurs fondé sur l’argent, le commerce, le marché, la spéculation, le productivisme, c’est-à-dire l’exploitation totale du vivant.

Les adeptes du « système » objectent aux réfractaires qu’ils seraient bien en peine de désigner le « maître du système ».

Ils imaginent ainsi faire l’économie du débat de fond, éviter la contestation de la dévastation absolue.

Ils insinuent que toute critique, toute contestation, toute remise en cause est impossible et sans objet. Puisque le système n’a pas de chef, de tête, c’est qu’il n’existe pas.

Or, le « système » existe et provoque sur terre la sixième grande disparition d’espèces et transforme les animaux en marchandises et les hommes en sujets du Marché.

La nature sait, hélas, que le système sévit, bien qu’il n’ait ni comité central, ni dictateur auto-proclamé.

Autrefois, une révolution pouvait renverser un monarque. Un résistant pouvait abattre un tyran.

Impossible de tuer le système par une insurrection ou un attentat.

Car le système libéral possède ses serviteurs sans avoir son maître.

Il finira par détruire la vie sur la planète par la célébration de son culte : le profit.

Contre lui, l’arme suprême consiste, non plus dans le pouvoir des barricades, ni dans l’explosion d’une « machine infernale », mais dans une mutation comportementale récusant ses valeurs perverses.

Loin de l’affaiblir, toute violence le renforce et lui permet d’éliminer ses réfractaires.

Le « système » sait que la vraie bataille est culturelle, d’où le soin qu’il apporte à contrôler l’information et d’abord le façonnage des mentalités.

Aux immenses forces thanatophiles de l’économie libérale, opposons une force pour le vivant qui affirme haut, fort et clair que la nature vaut mieux que l’appétit des multinationales et que l’humain doit devenir un ami de tout ce qui vit.

 

Gérard  CHAROLLOIS

 

--
--
---/---
.../...

 

 

 

--
---

---/---

---/---

 

--
--

---/---

---/---